Publié le 10/06/2018 par Maxime Koebele
Y-a-t-il encore des raisons de croire à la politique ? Plus vraiment, pourrait-on penser face à l’accumulation des problèmes et à la méfiance que suscite aujourd’hui la politique. Pourtant rien ne sert de céder au défaitisme et de suivre sans rien faire l’évolution d’un monde devenu prétendument incontrôlable. Dans une telle situation, notre devoir serait plutôt de s’attaquer en profondeur aux problèmes et de trouver les solutions viables qui permettraient de reprendre nos destins en main.
Commençons d’abord par nous mettre en question et regardons ce qui constitue, malgré les bonnes volontés de chaque camp, un échec collectif :
Nos politiques de développement sont inefficaces et nous restons incapables de créer les conditions d’une économie prospère et juste pour tous (tous pays confondus).
Les relations internationales restent l’apanage des grandes puissances et l’action commune n’a de cesse d’être paralysée par les égoïsmes nationaux.
Nos sociétés en pleine mutation n’ont pas réussi à assurer une place à chacun et n’ont pas su résister aux nouvelles formes d’exclusion.
Nos politiques environnementales ne nous permettent pas pour le moment de sortir de la crise écologique créée par l’homme et de gérer durablement et équitablement les ressources naturelles.
Rendons-maintenant à l’évidence : il est fort probable (mais pas certain) qu’aucune politique menée par les États ne permettrait de surmonter un tel échec. Il ne s’agit pas ici de mettre toutes les politiques au même niveau. Les motivations qu’elles impliquent et les conséquences concrètes qu’elles entraînent sont très différentes. Elles peuvent être réalisées avec plus ou moins de réussite et peuvent engendrer des changements significatifs. Mais les États sont incapables de s’entendre et de formuler ou d’imposer des solutions globales à une société qui s’est largement complexifiée, mondialisée et autonomisée du pouvoir politique.
Les solutions politiques à la hauteur des défis et des ambitions de notre temps n’appartiennent plus à un pouvoir politique séparé incarné par les États ; elles appartiennent à l’ensemble de la société et devront mobiliser toute son intelligence collective. Mais pour que la société puisse trouver collectivement des solutions à ses problèmes, encore faut-il la doter des outils nécessaires. Quels sont-ils ? Comment les définir ?
L’important est d’abord de mobiliser l’ensemble des acteurs, c’est-à-dire absolument tout le monde. Pour cela, l’amélioration de nos démocraties libérales (plus grande transparence, meilleur renouvellement de la classe politique,…) ainsi que les prétendus outils de démocratie directe (référendum, contrôle des élus, multiplication des élections,…) ne suffiront pas. Ce qu’il faut avant tout, c’est répartir au mieux, c’est-à-dire au maximum les responsabilités. On ne peut effectivement tenir à l’écart ceux qui font partie intégrante de la solution. Sans répartition des responsabilités, la majorité de la société restera passive, prisonnière de ses habitudes, incapable de se réinventer en profondeur. Elle ne pourra pas définir aussi rapidement que nécessaire les nouveaux modes de vie qui constituent les solutions de ses problèmes. Elle ne pourra pas se saisir efficacement des capacités d’action qui sont à sa portée. On aura beau la consulter encore et encore, elle aura beau confier le pouvoir aux personnes les plus douées, les plus honnêtes et aux profils les plus représentatifs, sans sa participation active et entière, on ne pourra activer que des leviers isolés et mener des politiques inefficaces.
Mais comment répartir les responsabilités ? Certains argumenteront qu’une trop large répartition ne peut mener qu’au chaos. Cela n’est pas vrai (du moins il est impossible d’en juger) et ces personnes ignorent, ou font semblant d’ignorer, les principes qui permettraient de structurer et d’équilibrer une telle répartition.
Ces principes ne sont pas révolutionnaires. Ils sont connus depuis longtemps et sont même parfois partiellement appliqués. Il s’agit tout d’abord du principe de subsidiarité, qui consiste à réserver aux échelons supérieurs uniquement ce que l’échelon inférieur ne pourrait effectuer que de manière moins efficace. Il s’agit ensuite du principe de séparation des pouvoirs. Séparation entre les formes de pouvoir (législative, exécutive, judiciaire, …) bien sûr, mais aussi séparation du fond. Si l’action publique forme un tout au niveau local (chaque politique y ayant un impact en termes d’aménagement du territoire et de mode de vie) les différents domaines politiques (économie, commerce, santé, éducation, …) peuvent et doivent être traitées aux échelons supérieurs de manière toujours plus distincte par des institutions toujours plus indépendantes. Le principe de séparation du pouvoir appelle donc dans sa forme la plus développée à une spécialisation ascendante du politique en adéquation avec une répartition naturelle des compétences fixée par le principe de subsidiarité.
On le voit, l’application du principe de subsidiarité et de séparation des pouvoirs ne peut être pleine et entière que dans un système construit à partir de l’échelon local. Dans notre système actuel, basé sur le primat de l’échelon national, ils ne peuvent être qu’appliqués qu’à la marge. Il faut donc se rendre à cette évidence : pour donner à la société les clés de son avenir, en supposant comme nous le faisons que celles-ci reposent sur une meilleure répartition des responsabilités, il faut revenir sur le concept d’État-Nation.
Cela risque d’être compliqué tant ce concept s’est imposé comme structure politique incontournable et cela même au niveau des états les plus fédéralistes. Pourtant, force est de constater que cette structure n’est ni si naturelle et ni si profitable qu’on essaye de nous le faire croire. Tout d’abord, c’est une structure assez récente née de conditions historiques fortuites et qui en dehors des pays occidentaux, s’exporte plutôt mal. C’est ensuite un concept, qui de manière abstraite se veut universel, mais qui pour acquérir une réalité concrète se doit de se forger une identité particulière. Celle-ci se forme le plus souvent sur des éléments historiques, ethniques, culturels, religieux ou autres qui sont autant de facteurs potentiels de division. La Nation ne peut, contrairement aux structures locales, s’appuyer sur ce lien suffisamment concret et relativement neutre que constituent la proximité géographique et les relations physiques entre les personnes. Troisièmement, la Nation définit son rapport au monde que par les relations et par les rapports de puissance qu’elle entretient avec les autres Nations. Cela constitue un frein à une plus grande collaboration et s’avère être pour les États les plus fragiles une source de frustrations, d’injustices, de crises et de sacrifices inutiles. Enfin, la Nation se définit originellement comme souveraine, c’est-à-dire comme la source unique du pouvoir. Cela entraine généralement (nous revenons ici au problème évoqué plus haut) une répartition irréfléchie des compétences et à une concentration du pouvoir qui ne profite à personne.
N’ayons donc pas peur de dépasser ce concept d’État-Nation qui a fait son temps. Faisons-le cependant pour les bonnes raisons et méfions-nous des fausses solutions que sont le nationalisme régional, continental ou mondial. Ces nationalismes, peu importe les bonnes intentions de leurs partisans ou l’exactitude de leurs critiques contre les États, ne font que déplacer le problème à un autre échelon. Soyons clairs, la répartition des responsabilités induite par les principes de subsidiarité et de séparation des pouvoirs bâtit un ensemble de structures politiques à tous les échelons en partant de l’échelon local. L’échelon local a la primauté du politique, mais non pas le monopole et chaque échelon conserve sa pertinence. La répartition des responsabilités passe par une politique « primo-locale » qui commence par le bas pour finir tout en haut.
À quoi ressemblerait dans les faits cette politique primo-locale ? Elle prônerait par exemple :
L’abolissement dans les constitutions des États du principe d’indivisibilité et l’encadrement par la loi d’un droit à l’autodétermination.
Le renforcement partout où cela est possible des exécutifs locaux par la formation de gouvernements généralistes et par des transferts de compétences.
L’existence d’un droit local élaboré par des parlements locaux.
L’encadrement de chaque compétence des États et des échelons supérieurs par des accords particuliers passés avec leurs composantes locales. Ces accords institueraient :
La gestion de la compétence par une institution dédiée.
Un ensemble de règles régulant l’organisation et le fonctionnement de l’institution dédiée et assurant son indépendance.
Une gouvernance démocratique de l’institution dédiée, qui associerait le plus possible les citoyens, les associations professionnelles et les diverses composantes locales.
Un financement de l’institution dédiée, assuré par les pouvoirs locaux la composant via des contributions directes, via des contributions indirectes formulées dans le cadre d’un budget commun ou via les recettes d’un impôt particulier.
Le contrôle de l’action locale de l’institution dédiée par les pouvoirs démocratiques locaux.
L’existence d’instances indépendantes pour le règlement des désaccords entre l’institution dédiée et les pouvoir démocratiques locaux.
L’existence de recours pour les pouvoir démocratiques locaux afin de renégocier ces accords et revoir les modalités de leur participation.
La libre association entre pouvoirs politiques locaux pour tout domaine et sans restriction géographique.
La politique primo-locale n’utiliserait pour ce programme pas d’autre outils que ceux déjà utilisés dans le droit national ou pour les traités internationaux. Elle est flexible et peut être accommodée aux réalités du terrain. Elle ne nécessite pas de rupture immédiate et peut être appliquée de manière progressive lors de périodes de transitions. Ce n’est donc pas les difficultés techniques qui empêcheront son application.
Qu’est-ce qui empêche donc à la politique primo-locale d’être appliqué aujourd’hui ? Ce sont les mentalités. Beaucoup de personnes restent persuadées aujourd’hui que les solutions politiques doivent s’imposer par le haut et que la multiplication des acteurs ne peut entraîner que des blocages. C’est pourtant la concentration du pouvoir et l’éloignement de la société des responsabilités politiques qui est actuellement la source de notre immobilisme. La société est pourtant prête à changer, à faire preuve de plus de solidarité, à adopter des modes de vie plus responsables. Elle en montre de plus en plus fréquemment les signes. Il ne reste plus qu’aux acteur locaux de prendre conscience de leur importance politique, de prendre confiance en eux et de revendiquer leurs droits.